maître Sanshin – IV –

Pourquoi grimper une montagne, si l’on sait qu’il faudra nécessairement la redescendre ? Grimper n’est pas un fardeau, vivre n’est pas un fardeau. La fatalité de Sysiphe n’est pas une occasion de colère, c’est une opportunité de prendre plaisir à l’effort fourni lors des épreuves.

Redescendre n’est pas plus facile, tous les randonneurs vous le diront; c’est même plus dangereux. Il suffit de baisser la garde, d’oublier la traitrise des racines humides si glissantes, de mal prévoir la prochaine pierre… Débouler, n’est pas une manière de vivre.

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Vue vers le sud-ouest de Bundang depuis une tour de contrôle, juin 2019, Danny Plourde

J’ai découvert véritablement le plaisir de grimper les montagnes assez tôt, à Saint-Jean-sur-Richelieu, quelques amis précieux et moi aimions terminer nos débâcles au sommet du mont Saint-Grégroire, ce mamelon dur de ma Montérégie natale. J’ai aussi grimpé un peu dans le Vermont avec un ami lors d’une quasi fugue quand j’avais 18 ans. Mais ce n’est vraiment qu’à mon premier voyage en Corée, en 2006, que j’ai commencé à respecter la randonnée, que j’avais auparavant toujours considérée comme un peu trop pépère pour moi. Mais les pépères torchent. Il faut être en forme pour grimper plusieurs centaines de mètres. À mes débuts, ma conjointe m’accompagnait, maladroitement, avec ses escarpins, nous rebroussions chemin au milieu de la hanche pour revenir nous étreindre, satisfaits de nos efforts.

 

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arbre fort et fier, dans le coin de Taean, Corée du Sud, juillet 2019, Danny Plourde

C’est véritablement le beau-père qui m’a donné le goût de partir grimper, toujours, tout le temps, à jamais. Quand je lui ai dit, il y a plus d’une dizaine d’années, que j’avais grimpé le Namhansansung pis le Bukhansan, ça l’a impressionné. Rares sont les étrangers en Corée qui partent à l’aventure des régions coréennes éloignées, c’est curieux, désolant. Mais c’est identique au Québec. Trop peu d’anglophones et d’allophones établis à Montréal connaissent les régions… La Corée, c’est 70% du territoire composé de montagnes.

Au fil du temps, le beau-père et moi sommes devenons amis et il m’a parlé de Sanshin, le dieu des montagnes. Sanshin, à ne pas confondre avec l’instrument de musique japonais. Sanshin, une relique de l’épopée animiste coréenne, une divinité d’avant Bouddha, d’avant les missionnaires français décapités, d’avant les preachers états-uniens. Sanshin, un don du passé permettant d’apprécier l’ensemble des comportements fraternels expérimentés en montagne. Il faut comprendre, les montagnes ont littéralement sauvé les Coréens, tant au Sud qu’au Nord. D’ailleurs, le mythe fondateur de ce peuple prend pour point d’origine le sommet du Peaktusan, aujourd’hui situé à la frontière entre la République populaire de Chine et la République populaire démocratique de Corée.

Voir le mythe de tangun.

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vue typique de la campagne coréenne qui agence rizières et montagnes, 2019, Danny Plourde

Les montagnes ont permis aux Coréens de se cacher contre les envahisseurs, tout comme les bois l’ont fait pour les Québécois. Ce qui me fait croire que nous aussi, au Québec, nous devrions accorder une valeur particulière à cette biozone grâce à laquelle, peut-être encore plus que l’Église, nous avons pu survivre conciliant au fil des siècles. Par contre, en Corée, les montagnes appartiennent aux Coréens, contrairement à nous, qui avons vu nos forêts et nos bois exploités par des étrangers.

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un ruisseau sauvage sur une hanche du Kalihwangsan, près de Pyeongchang, juillet 2019, Danny Plourde

Avec le beau-père, j’ai déjà grimpé plusieurs montagnes dont je ne me souviens même plus, my bad, des noms. Parmi les plus illustres, je pense au Solaksan (2008) où une fois au sommet (1708m), j’ai demandé la main de mon actuelle fiancée. Le gars était coincé avec moi lors de la descente et ne voulait pas laisser sa fille partir avec un étranger. Ceux qui me connaissent savent que cette période de ma vie a été plutôt difficile, mais ça s’est arrangé depuis et le dude est devenu mon ami.

Cet été, avec son club de montagne (en Corée les clubs de montagnes sont très populaires autant chez les femmes que chez les hommes, surtout chez les personnes âgées de plus de 30 ans) nous sommes allés gravir le Kalihwangsan (1561m). Une ascension en pente très intense. Le beau-père (60 ans) a eu de la misère, mais quelle forme tout de même ! Cela dit, même si mes clichés présentent des paysages sereins et tranquilles, je dois avouer qu’en Corée, avec cette surpopulation incroyable, même les montagnes sont souvent surpeuplées. Notre club comptait plus d’une quarantaine de grimpeuses et grimpeurs, j’étais le plus jeune et le seul étranger, of course.

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Je grimpe en pensant à mon prochain poème, à mon recueil de poésie sur lequel je travaille en ce moment, en pensant aussi à mon recueil de vieilles nouvelles que j’ai envoyé à mon éditrice il y a plus de 7 mois sans avoir reçu de retour. Je grimpe en appréciant la difficulté de l’épreuve, au sommet à atteindre, à ma libération.

Voilà, je grimpe la montagne comme je marche vers ma libération.

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En chemin, de vieux cèdres centenaires, de vieux squelettes millénaires m’observent, me disent de ne pas lâcher, que dans ce monde de poussière, même les arbres se meuvent.

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À force d’efforts, le sommet arrive; je sais qu’il me fait redescendre, mais je n’ai plus envie des sourires, j’aurais le goût de m’accrocher aux branches.

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Je n’échappe pas au besoin de me faire prendre en photo, question d’imprégner ma face dans le décor.

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Danny Plourde, au sommet du Kalihwangsan, Corée du Sud, 2019.

Mes réactions du moment, voir vidéo sur les réseaux sociaux….

Même si la météo n’était pas de notre côté, que nous ne pouvions pas observer au loin l’horizon infini, ce qui en journée en été est plutôt rare, à cause du climat très humide, en Corée, j’ai vécu un moment extraordinaire. Mon beau-père était déçu, il aurait voulu mieux me montrer l’horizon de cette région de la Corée; mais je lui ai dit en coréen, oui monsieur, en coréen : « Même si l’on ne voit pas la montagne, la montagne est toujours là. Du coup, je suis heureux de vivre ça avec vous; merci beau-père ! »

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Avec le beau-père au sommet, juillet 2019, Danny Plourde

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you got it ! Abonim !

puisqu’il faut redescendre

En descendant, nous pensons « manger », « boire ». Certains du club de montagne vont hyper vite, prennent des risques, tout ce qu’ils veulent, c’est à se demander, c’est de boire du makgeolli pis de s’empiffrer au resto au plus vite. Pali-pali ! Une soirée sans famille, sans femme, sans mari, mais surtout, sans enfant !!

Nous, nous y allons relax, nous suivons un groupe de dames (très jolies) de 45-50 ans qui nous offrent des morceaux de concombres et des cubes de melon d’eau. En échange, je leur offre du beef jerky pis de l’eau froide (je suis le seul qui a osé trimballer deux litres d’eau glacé dans son sac, parce que, tsé, c’est crissement lourd). L’une des dames (elle a bien 52 ans, mais elle a l’air d’en avoir moins de 40) a eu une blessure au genou, et la descente était très raide pour elle. Le beau-père, moi et le chef de queue (the chef commander, qui faisait jouer du Céline Dion loud speaker, arg non….) avons pris soin d’elle.

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vue sur un vallée en descendant du Kalihwangsan, juillet 20019, Danny Plourde

Il a mouillé la veille, la descente est rude, nous tombons, je tombe, mais j’ai de bonnes bottes neuves Salomon achetées tout juste avant mon départ en Corée. En fait, elles sont trop neuves, et mes pieds en arrachent parce que je suis en train de les casser pour la véritable première fois.

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Ne pas avoir été avec mon beau-père ou avec un moutain club quasi totalitaire; avoir eu ma tente portative et un p’tit brûleur, j’aurais aimé aller me perdre dans la forêt, me construire un abri, y rester quelques jours. Mais en Corée, le camping n’a rien à voir avec le camping au Québec; ici, il est impossible de sortir du sentier; mais quand même, en descendant, je ramasse les petits déchets des napun salam (les gens méchants) en vue de tout jeter une fois en bas.

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En route vers le bus qui va nous conduire au resto, nous regrettons ne pas avoir eu assez de temps pour nous tremper les pieds dans les ruisseaux.

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Au resto, j’ai vécu une orgie culinaire, bu comme un trou de la bière mélangée avec du soju, etc. C’était exquis. En bouffant, le beau-père, entouré de ses amis, a dit qu’au début il n’avait pas voulu que je marie sa fille, mais que, maintenant, j’étais devenu son ami et qu’il était heureux de m’avoir dans sa vie, enfin, j’ai cru décrypter tout ça avec mon coréen de base. J’ai été touché, vraiment, même s’il m’était si difficile de m’assoir en indien comme les autres à la table.

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Il était temps de revenir auprès des miennes, car le lendemain, malgré mes douleurs, je devais prendre l’avion pour aller passer une semaine à Jeju, un île coréenne volcanique située entre la Chine et le Japon.

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au retour du Kalighwangsan, Corée du Sud, juillet 2019, Danny Plourde

DPLRD

 


un Quèb en Corée (goûter le monde) – III –

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Devanture d’une Mekchu-Jip, « Good people drink good beer », « Les bonnes gens boivent de la bonne bière », quartier d’Ik-sandong, Séoul, juillet 2019, Danny Plourde.

L’Amérique du Nord et une bonne partie de l’Europe, en cet été 2019, subiraient les contrecoups de canicules successives. La péninsule coréenne n’y échappe pas. Il n’y a pas que les relations avec le frère du Nord qui se réchauffent ! L’été est torride, humide. À Jeju, je me suis pris un sacré coup de soleil à la plage (j’y reviendrai).

Contre la chaleur, le remède : une bonne bière. Mais vous me direz que c’est le même remède contre le froid… (certains en tous cas).

En Corée du Sud, les compagnies de bières se partagent un monopole depuis des décennies; je pense, autre autres, à Hite et à Cass, des lagers de type industriel. Un prof d’anglais canadien dont j’ai oublié le nom, il y a déjà quelques années de ça, exaspéré de boire toujours la même bière, me disait avec dégoût : « Hite is shit, Cass is ass ». Ouais, bon, dude, Coor’s is worst, Labatt suce des battes pis Molson vend du jus de prune… (la dernière mérite d’être retravaillé, I know).

Toujours est-il que les Coréens n’ont pas de tradition de microbrasseurs bien implantée. Mais il y en a quelques-unes qui font désormais leur apparition sur les tablettes des supermarchés, de type IPA, plus goûteuse; beaucoup d’entre elles proviennent de l’île de Jeju.

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Étalage de bières dans un resto-bar au bord de la plage, Jeju-Do, juillet 2019, Danny Plourde.

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Je ne maitrise pas l’art poétique de décrire le goût des bières; c’est dommage, car c’est en ce moment que ça me serait utile. Je me contenterai de vous dire qu’elles sont bonnes (mais ça ne se compare pas avec ce qui se fait au Québec…) #Quebeclove

Je n’ai pas toujours la chance de me trouver une microbrasserie et leurs bières coûtent quand même la peau du luc, surtout que le dollar canadien ne vaut plus rien comparé au won coréen qui, lui, a pris beaucoup de valeurs depuis les dernières années.

Du coup, je me tape de la Hite pis de la Cass, pis beaucoup de makgeolli, un alcool de riz pétillant, un peu laiteux, très bon marché. Aussi, il m’arrive de trouver des bières industrielles qu’on ne peut espérer boire au Québec sans passer par la SAQ, comme celle-ci, en provenance du Japon :

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Mon camp de chasse aux mots

Pour écrire, lorsqu’il fait si chaud et que j’ai un peu de temps à moi (ce qui est quand même plutôt rare), je me suis trouvé un coin de table au beau milieu d’un bois en montagne. Personne ne vient me déranger, je peux fumer des clopes pour éloigner les maringouins (mais ça ne suffit pas, il me faut m’appliquer une chiée de produit chimique partout pour éviter d’être bouffé tout cru) et boire ce que j’ai réussi à trimballer dans mon sac à dos. Aussi, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus de pratique, je peux pisser juste à côté pour marquer mon territoire allègrement. Pas besoin de faire la file dans les toilettes publiques (parce qu’en Corée, tu n’es jamais le 1er, jamais même le 2e, il y a toujours quelqu’un qui a pensé avant toi à la même chose que toi…). Une sorte de paradis, quoi !

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Ma cachette dans le bois en flanc de montagne pour écrire, parc Jungan, Bundang, juillet 2019, Danny Plourde

C’est là que je travaille mon prochain recueil de poésie. Car, à part ces quelques mots que vous êtes en train de lire, j’écris essentiellement de la poésie, ou plutôt, je travaille de la poésie déjà écrite. À vrai dire, je suis en pleine réécriture et pour moi c’est l’une des étapes les plus agréables du processus de création littéraire. Je relis sous tous les angles, je prends mon temps, je chasse les redondances, bref, je m’éclate. #LesBoucliersHumains = à venir.

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Ma face dans un fishnet pour me protéger des bébittes pendant que je travaille mon prochain recueil, parc Jungan, Bundang, juillet 2019, Danny Plourde.

Quand j’écris pas dans le bois, je le fais à une terrasse d’un resto-bar plutôt crade nommé Crevasse, ce n’est pas une blague. Je tombe alors là-dedans parfois et me prends quelques bocks de seng-mekchu (de la Cass). Il y a une télé qui passe en boucle ou de la K-pop ou du baseball, c’est une ambiance. Les vieilles serveuses sont gentilles et m’offrent un tas de p’tits cadeaux pour me remercier d’avoir choisi leur commerce. Un étranger qui parle un peu coréen, c’est bon pour leurs affaires. Je suis une pub vivante (en fait, jusqu’à une certaine heure je suis une pub vivante parce que, après quelques heures, je dois plutôt effrayer les clients, ou les attrister…) Je m’efforce de quitter avant d’atteindre ma limite ou de tout bousiller mes textes.

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Ma table pour écrire au resto-bar Crevasse, Seoyeong, Bundang, juin 2019, Danny Plourde.

Manger du vivant

Et côté bouffe, pour faire passer tout ça, je me tape des soupes de l’enfer dont le liquide brûle tout ce qu’il touche : langue, lèvres, menton, cou, torse. J’essaie des trucs imprononçables; bien souvent, je ne sais même pas ce que je bouffe et, vraiment, il ne faut pas manger avec les yeux, car ça aveugle (gne). Or, c’est toujours succulent. Et puis rien ne m’effraie, j’ai quand même déjà mangé du chien avec le beau-père il y a quelques années pis dernièrement encore de la pieuvre vivante, voir vidéo sur les réseaux sociaux. La bouffe coréenne, c’est tellement plus que le kimchi; la bouffe coréenne, c’est un trésor de l’humanité… 

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Miam! des intestins(?) de poisson (?), Danny Plourde

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Danny Plourde : 1, Monsieur le poisson : 0

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Soupe d’intestins et de boudin de porc, délicieux, Danny Plourde

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Ramyon cheap pimpé avec de la pieuvre pis des big ass crevettes, Jeju, Danny Plourde

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Mon spot à Seoyeong pour manger du sun-dae (intestins de porc dans de la sauce piquante), Danny Plourde

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Barbeq de coquillages, de palourdes pis d’autres friandises de la mer, Taean, Danny Plourde

Enfin, pour chaque post de ce blogue, j’écris depuis un café de Seoyong, en matinée. Ils ont la clim (en fait, en Corée, la clim est partout trop forte, on en tombe malade…) Je bois des teugun americano qui coûtent genre 6-7$ (le café est vraiment cher en Corée, je dirais même que c’est très bourge) pis je bouffe mon croque-monsieur (manger du dur, ça fait du bien aussi une fois de temps en temps).

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Mon spot pour écrire ce blogue, The Coffee Bean, Seoyeong, Bundang, Danny Plourde

Il y a tant à dire encore, à partager. Je reviendrai avec des mots pis des clichés au sujet d’autres voyages dans les régions éloignées de Corée.

P.-S. À l’arrière plan de la dernière photo, eh oui ! C’est bien une succursale de la librairie Pauline !! Tiens ! Je vais aller y jeter un oeil… 😉

DPLRD

 

 


Un Quèb en Corée (ses filles, les fleurs) – II –

Au Québec, avec l’école pour la grande et le CPE pour la petite, mes journées se déroulent souvent dans l’attente de les retrouver afin de poursuivre la routine repas-bain-dodo (et lecture du Chien bleu de Nadja pour la 96e fois).

En Corée, nous passons les journées entières avec les enfants, nous les retrouvons, mais certaines de ces journées nous épuisent et me rappellent l’effet accumulé des nuits courtes. Voyager avec des enfants n’est pas toujours une partie de plaisir. Chicanes et pleurnicheries sont fréquentes.

Fatigués, nous sourions moins, nous soupirons souvent. Pour changer ça, je cherche les fleurs. Je cherche à les épuiser par la marche et la découverte.

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Vue sur le sud de Séoul depuis la tour d’un poste forestier à Bundang, Danny Plourde, juin 2019.

Dès les premières journées de notre retour en Corée, j’ai fait la tournée des parcs de notre quartier, Seoyeong. Un quartier composé de plusieurs centaines d’immeubles de 20-30 étages, des tours d’habitation gigantesques, mais très bien entretenues. On est loin d’une vision apocalyptique du milieu urbain déshumanisé; après tout, le territoire est si petit si l’on considère le nombre si grand d’habitants. On ne peut qu’applaudir l’ingéniosité coréenne de l’occupation du territoire, le sens de l’urbanisme qui sait marier les pratiques ancestrales d’horticulture avec le besoin pratique d’entasser un amas ahurissant de citadins au même endroit, des familles pour la plupart (un couple avec deux enfants). Il y beaucoup de parcs, beaucoup de montagnes, il est donc facile de s’échapper de la ville et des tours.

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Clémence et Sey-Aube, Parc Jungang, Bundang, Danny Plourde, juin 2019.

Du coup, des parcs, on en trouve sans les chercher. Après quelques jours, on aime davantage aller explorer. Trouver des fleurs, se laisser émerveiller par les petits ponts, les pierres, l’écorce des arbres.

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Sey-Aube Park Plourde, Parc Jungang, Bundang, Danny Plourde, juin 2019.

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Clémence-Zia Park Plourde, Parc Jungang, Bundang, Danny Plourde, juin 2019.

Lorsqu’on s’éloigne des centres, des routes, des rues, et qu’on préfère emprunter les chemins, les sentiers, on découvre ce qu’il faut pour retrouver la force de poursuivre les journées avec sourire. Les ruminations s’en vont, tout est en place pour profiter pleinement de chaque seconde.

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Forêt de Séoul, Danny Plourde, juillet 2019.

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Sey-Aube Park Plourde, Seoyeong-yok, Danny Plourde, juin 2019

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Parc Yuldong (Bungee park), Bundang, Danny Plourde, juin 2019.

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Nabi-si (monsieur le papillon), Danny Plourde, juillet 2019.

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Parc Yuldong, Bundang, Danny Plourde, juin 2019.

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En route vers Yuldong depuis les sentiers, Bundang, Danny Plourde, juin 2019.

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mes filles au parc Yuldong, Bundang, Danny Plourde, juin 2019.

Les enfants ont besoin de bouger, de découvrir de nouveaux endroits. Mes filles me rappellent que je suis peut-être encore un enfant. Je les en remercie.

DPLRD


Un Québécois en Corée -1-

Ce n’est pas la première fois que je viens ici, ce ne sera certainement pas la dernière. Je ne fuis pas le Québec, pour tout vous dire, mais il m’arrive souvent de vouloir aller voir ailleurs. Parfois cet ailleurs est au plus profond de soi, parfois il exige un billet d’avion et 15-16 heures de vol.

Avant de partir, je suis allé m’acheter des livres, je veux dire, je suis allé acheter de mes propres livres, Le Peuple du décor, question d’en refiler à l’alliance française de Séoul et à quelques amis là-bas. La tâche n’a pas été facile, presque nulle part on en tenait encore… après seulement un an depuis sa sortie. Peu importe, je. Ai trouvé deux et ma mission d’ambassadeur est accomplie.

Avant l’avion, avant le départ, j’ai marché les trottoirs et vu les nourrissons d’autres espèces en état de putréfaction.

Ça m’a rappelé l’importance de me laisser emporter par le bruit des vagues, malgré l’odeur du varech, malgré les bestioles qui grimpent aux jambes, malgré tout ce qu’on dit de nous lorsque nous nous tenons debout.

Non, Nous n’avons pas survolé la Corée du Nord, mais nous avons eu une pensée positive empreinte de Soleil lorsque les bonhommes sept heures se sont serrés la main.

Le grand-père me dit que la Réunification aura peut-être lieu d’ici une dizaine d’années. En attendant, il grimpe des montagnes et regagne sa jeunesse en jouant des chansons coréennes folkloriques avec sa guitare 12 cordes à mes deux filles, des fans finies.

Nous avons devant nous tout un été, on dit aussi une vie à reprendre.

C’est un refrain à faire entendre.

DPLRD.2019


Gaspésie : La route du libre feu (encore une fois)

Rien n’était visible. La lassitude ordinaire traînait dans les chaussures. Depuis les cendres poudreuses des saillies de Montréal, les klaxons interminables, les coups de pelles, les scies mécaniques, tous ces outils de l’horreur qui vous empêchent de réfléchir….

Comment espérer trouver ces vestiges des coureurs des bois, ou même ceux de celles de nos sœurs et frères chasseurs autochtones ? #leavenotrace

Là où je passe, j’échappe de petits copeaux de civilisation, mais je ne laisse, si possible, aucune trace. J’enterre mon lendemain de veille, je me lave à la citronnelle, je bouffe les baies sauvages, et j’hume le début du Jour.

Aucun archéologue ne pourra vraiment témoigner du rythme saccadé de ma présence sur le territoire. Je suis un fantôme. Un fantôme  loin des aéroports. Un fantôme décomplexé qui ne demande qu’un coin de bois où transpirer.

Je respire tout

Simplement

Et je souffle la braise

Je la cajole du bout

Des lèvres comme un baiser

Donné pour bâtir

Un moment de chaleur

Parmi les déchets, les mégots, les bouteilles vides de Pit, je trace un chemin qui accompagne, qui s’adapte, je suis le taximan, je suis là pour porter le poids de la souffrance des autres. Aucun naufrage ne justifiera l’abandon. Il y a ces petites rivières, ces petites clairières; il y a ces petits instant où vieillir est un bon moment.

Je suis parti pour me retrouver, je n’y suis pas tout à fait parvenu, mais j’ai quand même apprécié la liberté des plages du Barachois, le frette médical de la rivière aux Émeraudes, puis que dire de ces feux conçus sans papier… ces étoiles sur les galets déposées…

Il faut se laver les os dans la plus froide des eaux

Retrouver l’essence de la survie

Un bout de lumière sous les branches

Dans la fosse nager sa vie

Les secondes passent si vite entre le réveil et la biture coutumière

Des années lumière l’ouverture les mauves l’esprit jaune

Je chante les autres leurs chansons

Quand elles sont simples

J’oublie les refrains

Mais mes doigts se souviennent

Même s’il manque une corde à la guitare

La lune se lève au-dessus du Barachois

Le feu nous protège des bestioles

la puce des sables le maringouin

Bientôt l’éclipse s’impose c’est un spectacle

C’est une soirée comme on en désire plus d’une fois

Le chemin qui mène à la lune

Est un chemin d’illusions

Nous l’empruntons au gré du rugissement des moutons

Combien encore sont accrochés
à leur téléphone quand passe
l’Inimaginable

Dormir sur la grève est une délivrance

Une chance qui s’accompagne de quelques rires

Personne ne sait où je suis

Si ce ne sont que ces précieux amis

Pour qui je serais prêt à me battre

Pour qui je donnerais bien ma vie

Et quand au réveil le vent hurle sur les berges

Et que les vagues vomissent les algues

Je n’en ai rien à foutre du sable

Je me lève avec la certitude que je ne sais rien

Et puis tout recommence incroyable

Faire un feu manger

Bouillir de l’eau la traiter

Trouver l’instant d’écrire

Partir au bout du Québec

Une autre fois

Pour toujours le monde

Écouter les oies les goélands

Me dire de crisser le camp

Je reviendrai averti

Avec une gueule de conquérant

Tout pour me persuader

Que tout cela ne disparaîtra

Jamais


La grande traversée de Charlevoix (lettre aux jeunes randonneurs du monde)

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Lac perdu dans le parc national des Hautes-Gorges-de-la-rivière-Malbaie, juillet 2017, Danny Plourde

Ce n’est pas que les mots me manquent. C’est plutôt le temps. Et l’envie de m’assoir pour écrire au lieu de marcher.

Ils deviennent rares ces moments de lassitude où il me vient à l’esprit de publier au rythme d’un clic à la seconde. Je n’ai ni le cardio d’un bloggeur ni celui d’un mendiant d’empathie virtuelle. J’ai la flemme des médias sociaux et cela ne m’excuse pas, je sais. Je grogne.

Or pour ce qui est des pieds, par contre, et de ce qui se trouve dans le thorax du vieux Plourde ! Malgré mes 36 balais, en toute humilité, et malgré une bonne bédaine de Flacatoune, je pense bien pouvoir me défendre ! C’est d’ailleurs mon surplus de graisse montréalaise pis un moral de bois dur qui m’auront peut-être permis de traverser à pied l’un des plus beaux coins du Québec : Charlevoix. Plus que ça, j’en conviens :  l’amour de la nature et une soif insatiable de liberté !

J’en garde de bons souvenirs, de bonnes blessures et un incomparable sentiment du devoir accompli. Et j’aimerais, à vous, jeunes randonneurs, vous partager mes impressions et conseils avant que vous ne vous lanciez comme des timbrés dans une aventure qui pourrait bien vous casser en deux. 😉

Un trek d’une semaine en pleine autonomie

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Vue sur la rivière Malbaie depuis le refuge du Geai bleu, Charlevoix, juillet 2017, Danny Plourde

À mon sens, rien n’est plus pénible : se sentir immobile. C’est pourquoi je marche. Je marche ma vie. Je marche comme je respire. Je suis un arbre aux racines mouvantes. Marcher me permet de réfléchir, de faire le vide aussi, d’aller un peu plus loin. J’ai le bout du monde au bout des pieds !

Marcher. Ça me permet d’investir le territoire autrement. Pas à pas. Je marche vers les autres. Je marche vers chez moi. Je marche pour décompresser, je marche tout le temps. La marche a quelque chose de zen, de poétique, il y a beaucoup d’amour dans la marche, surtout lorsqu’on ne connaît pas sa destination finale. C’est de la déambulation, du flânage, allez voir l’appellation contrôlée qui vous convient… Mais marcher d’un point A à un point B, c’est pas moins extraordinaire, surtout lorsque, entre les deux, si tu te perds, tu crèves.

Marcher le pays, c’est aussi un prétexte pour aller à sa rencontre. Lui qui ne demande pas mieux. Lui qui n’attend que ça, être parcouru ! Faire la paix avec le Québécois, la Québécoise. Ne pas péter de coche parce qu’il n’y a pas assez de diversité à La Malbaie ou à Baie Saint-Paul. Se dire, je suis ailleurs, en Amérique du Nord, je suis un peu chez nous, pis ce monde-là, majestueux et uniforme, il est beau, même s’il ne cadre pas dans une pub léchée du PLC.

Marcher le pays, c’est aussi un besoin de quitter la Ville. Sortir de l’île, retrouver des saveurs, découvrir des accents, des tournures, des histoires, des rires, de grands yeux ouverts vers le ciel immense, c’est observer les baleines qui font des flips dans le Fleuve sans devoir payer son siège autrement qu’en abattant des arbres rares à la tronçonneuse.

110 kilomètres à pied, 21 kilos sur le dos, une semaine de survie

Celles et ceux qui me suivent un peu savent que j’aime en baver pour profiter au max de mes expériences en plein air. Jirisan, Hallasan, Solaksan, Chic-Choc, bref, je n’en étais pas à mes premières ampoules. Chose certaine, et pour clarifier l’affaire, je ne conseille pas la grande traversée de Charlevoix comme première expérience de longue randonnée, car c’est clair que vous allez en chier une traînée avant de vous évanouir. Cela reste, néanmoins, l’un des défis physiques et personnels les plus intenses de ma vie, et je suis heureux d’avoir déjà connu la misère du bois avant de m’être jeter là-dedans !

Voici donc mon top 10 des bons côtés de la grande traversée de Charlevoix

Top 10 des bons côtés

10. La paix intérieure

Comme dans toute grande randonnée de longue durée (une semaine et plus), tu te retrouves avec toi-même dans la brousse pis c’est bon en crisse de pas entendre un seul ostie d’char à la ronde.

À force d’en chier, j’en suis venu à me demander ce que je pourrais faire pour devenir une meilleure personne à mon retour à la civilisation. Pour dire. Meilleur mari, meilleur papa, meilleur ami. La trinité. Quel est le secret de l’existence ? Pourquoi suis-je ? Enfin, à chacun son truc afin de passer au travers. Chose certaine, faut s’accrocher à quelque chose de plus grand que soi, sinon vous allez seulement chialer que vous souffrez pendant une semaine et vous n’aurez rien compris de cette souffrance.

ps. : je suis pas certain d’avoir compris quelque chose, mais je sais foutrement apprécier un peu plus les petits conforts de ma vie.

Ma lecture du trek : Les entretiens de Confucius

9. Le paysage

Vue sur la rivière Malaie, parc national des Hautes-Gorges, juillet 2017, Danny Plourde

Bien que le trajet de la traversée ne nous offre pas tant de sommets panoramiques, on peut quand même profiter d’un paquet de points de vue magnifiques à couper le souffle,

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Vue sur le parc national des Hautes-Gorges-de-la-rivière-Malbaie, juillet 2017, Danny Plourde

surtout ceux donnant sur les Hautes Gorges pis la rivière Malbaie. On remonte des ruisseaux de fous, on traverse des zones de chasse, on marche sur des barrages à castors, on enjambe des ossements d’orignaux, etc. Les crapauds et grenouilles des bois se comptent par centaines et l’odeur des conifères sous le soleil brûlant nous fait oublier la morsure des maringouins.

8. La difficulté

Des journées de 15, 16 ou 20 kilomètres dans des dénivelés, somme toute, assez accessibles, mais qui vous poussent dans les brancards de votre réserve intérieure. Se coucher à 20h, se lever à 7h. Des 6-7 heures de marche. Ce trek n’est pas pour les débutants. Le défi est de taille, vos pieds vont pleurer. Ça vous prend 1) des bas qui torchent 2) des souliers de montagnes DÉJÀ cassés. Je dirais même des guêtres, à moins que vous soyez un peu plus redneck : des sacs de plastique avec du docktape. Anyway, vos pieds seront souillés.

7. Les cours d’eau

Ruisseaux, rivières, lacs, lacs à castor, vous ne manquerez pas d’eau. Bien sûr, quand il pleut, si vous êtes déjà à un refuge, profitez-en, et ramassez de l’eau de pluie, c’est de l’or en barre ! Ça vous prend des Aquatabs (elles goûtent moins le chlore) ou un filtre à pompe. Je conseille aussi un filet anti-maringouin pour filtrer les dépos. Une pierre deux coups. Le réflexe du survivant.

6. Les refuges

Au contraire de ceux de la SEPAQ, ils sont munis de cuisinières au gaz (gros luxe), s’y trouve aussi de la vaisselle; ça l’air de rien, mais cela vous permet d’alléger considérablement votre sac à dos, lequel est votre pire ennemi s’il est trop lourd. Une truie pour faire sécher les bottes, du bois, des bécosses pas loin, on se croirait en ville (je rigole). Les lits sont crades, mais vous serez tellement fatigués que, Pfff. ZZzzz


5. La nature brute

Suffit de bifurquer un peu du sentier, dans le bras d’un détour, pour se retrouver les pieds dans l’eau d’une rivière glaciale, d’humer un cimetière d’orignaux ou de pouvoir se faire une salade de plantain avec beaucoup de baies sauvages. Thé du Labrador à profusion, surtout en hauteur, près des lacs acides. Achillée millefeuille, bleuets sauvages, etc. Pas vu d’ours, mais j’ai marché dans leur bouse chaude trop chaude à mon goût. Dans les sentiers ténus, là où ils pourraient nous surprendre en embuscade, même si on sait qu’ils nous sentent un mille à la ronde, n’oubliez pas de vous imposer en criant : « HEILLE L’OURS ! HEILLE L’OURS ! »

4. La baignade

Qui dit nature brute, dit plein d’endroits paradisiaques où prendre de petites douches pour se laver, cascades, chutes, etc.

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Rivière Malbaie, juillet 2017, Danny Plourde

Les points d’eau près des refuges sont également relativement assez cool pour se tremper les pieds après votre journée de malade. Vos pieds sont votre moyen de transport, prenez-en soin !

Je vous souhaite suffisamment d’intimité pour vous décrasser le Jéricho ou la Madelaine librement ! Ya !

3. Le coût de l’aventure

C’est très abordable, surtout si on compare, encore une fois, avec le réseau de la SEPAQ. Certains pourraient penser que marcher les grands parcs du Québec, c’est « rien qu’une activité de bourges ». Ben, ceuzes-là, je les emmerde, trois mois sans bière pis tu te payes le Québec tout entier, he !

2. Le trajet pour s’y rendre

Le trajet de l’aller en char vaut tellement le détour. Pas loin de Québec non plus, juste le temps de faire le plein de radio poubelle pour rigoler pendant une semaine ! Y’a toujours trop de niaiseries pas possibles dans les lignes ouvertes que ça va te faire rire pour l’année.

1. La finale, La Malbaie

Au retour, quand j’ai vu de l’asphalte, j’ai voulu la niquer, pour vrai. Le taxi nous a emmenés à La Malbaie, on a bouffé des sandwichs au saumon dans la boulangerie artisanale Pains d’exclamation, pis après on s’est tapé plusieurs bières de microbrasseries à l’Auberge de jeunesse. Après une semaine dans le bois, se faire servir de bonnes cervoises de qualité par de jolies serveuses québécoises (de Québec pis de Baie Saint-Paul, la plupart), c’était comme renaître de ses cendres malgré la douleurs dans les pieds.

***

Le Geai bleu

Quand tu souffres trop
observe au loin
cherche l’horizon
et puis vas-y

ne regarde plus derrière
ton fantôme
dans tes pas

s’il fallait tout savoir
tout connaître
je serais malheureux
de ne plus Apprendre

***

Bon, allez, petit top 8 de ce qui m’a paru moins glorieux, mais c’est plutôt pour vous conseiller, amis, si vous êtes sensibles, parce que, pour vrai, c’est pas si pire que ça.

8. Les osties d’insectes insoutenables

Une française rencontrée plus tard au sortir du camping du Festif de Baie Saint-Paul, à qui moi et mon pote Hugo avions au hasard humblement raconté notre exploit, nous a dit : « Ah, tiens ! Moi qui croyais que les Québécois ne faisaient pas de trek en juillet justement à cause des moustiques ! » Ouais, ben, je lui ai répondu pour faire mon smatt que, justement, nous-autres les Québécois on avait pas peur des maringouins, pis que, pour preuve, on pouvait aller dans le bois n’importe quand dans l’année. Faux. J’ai saigné ma vie.

Oublie les milliards de maringouins qui te piquent à travers ton linge. Jaune, rouge, noire, bleue, la mouche du Nord mord et crache son venin dans ta plaie, pis ça pique le crisse. Elle te pourchasse comme une chimère tout le temps. 7 jours de bzzz, bzzz, bzzz autour de ta tête. Le défi devient davantage psychologique que physique. Tu finis par halluciner le bruit de la mouche tellement elle t’harcèle du matin jusqu’au soir. T’en viens presqu’à comprendre pourquoi il y en a qui se câlice en bas des falaises.

J’avais un filet sur la tête (obligatoire), des vêtements longs (obligatoires), des gants (on me piquait à travers les gants), et ça ne suffisait pas. Cette expérience douloureuse m’a fait réaliser à quel point les pionniers et coureurs des bois canadiens étaient des héros, à quel point les Amérindiens sont des putains de sorciers des bois. Respect.

Le mot « refuge » prend alors tout son sens. Mais même dans les refuges, les maringouins sont là pour te sucer la face.

7. Les castors du décor

Ils sont majestueux. On les prendrait dans nos bras. Mais ils causent des inondations, créent des lacs sans nom, les sentiers disparaissent; ils chient sans arrêt dans l’eau, une eau pleine de coliformes fécaux que tu n’as pas envie de boire sans la faire bouillir, pis bouillir ton eau, c’est long en tabarnak, quand t’as 20 kilomètres à marcher dans une journée. De l’eau bouillie, ça n’a plus d’oxygène, c’est flatte kel crisse, pis c’est jamais plus frette, jamais plus rafraichissant. T’as juste pas le goût de boire de l’eau tiède. Tu veux de l’eau froide, mais le castor s’arrange pour te forcer à te débrouiller autrement.

ps. : Tu penses peut-être que je fais ma princesse, mais je te mets au défi de marcher 15-20 kilomètres sur des roches pointues, des coins de racines toutes croches, en buvant de l’eau tiède pis flatte. Pour vrai, t’as pas l’goût. Mais heureusement, il se trouve pas mal toujours des ruisseaux où tu peux faire le plein, pourvu que tu endures les insectes, car les insectes, le seul moyen de les quasi éviter, c’est de marcher, alors quand tu arrêtes, tout en sueur, tu es comme une grosse boule de viande rouge qui demande à être bouffée.

6. La carte des sentiers

L’organisme de la grande traversée de Charlevoix nous vend au départ un ensemble de cartes à 7$. Good. Les cartes sont en carton ciré. Les cartes datent de 2006. Nous sommes en 2017…

Il y a une chiée de sentiers de chasseurs, de chemins de bicyks, de ski de fond pis de routes forestières qui traversent un peu partout notre chemin, c’est hyper mal balisé à plusieurs endroits. La confusion se répète. Mon pote s’est perdu, j’ai failli me perdre. Il faut vraiment savoir lire le bois pour s’y retrouver. La littératie du bois. Lire le bois. Prendre une minute. C’est long soixante secondes quand t’es en guerre ouverte contre le règne de la mouche. Lire le bois. Retrouver son chemin. Battre en retraite.

Ça rajoute au fun, si tu veux, mais ça peut te mettre dans la dèche de porc-épic si t’as pas le compas dans l’oeil.

Perso, j’ai été correct avec ça, j’ai même aimé, mais soyez-en avertis.

5. Le manque de points de vue grandioses

Sur plus de près 110 km, il y en a très peu. Ça ne peut même pas se comparer avec la traversée du Parc de la Gaspésie. Aucune vue 360 degré. Autre raison pour vous conseiller d’abord les Chic-Chocs avant Charlevoix. 😉 Mais bon, c’est un autre type d’expérience nature, car ce trek-ci se passe davantage en forêt dense, et non sur des crêtes ou des calottes de montagnes.

Pour l’Acropole des Draveurs, c’est un autre trip, plus court, ça se fait en une journée. Ça doit être cool aussi. J’y retournerai.

4. Hydro-Québec

Des pylônes : partout. Vous vous direz, putain, ils me suivent ! On peut par contre prendre deux secondes et essayer d’apprécier le génie architectural québécois de ces monstres-là, qui font du bruit quand vous passez sous eux, qui doivent assurément fucker les hormones des orignaux pis des autres animaux, comme s’il y avait de grands corridors de grésillements radioactifs. On aime une fois, on se sent moins dans le bois quand ça buzz, mais quand même, en dessous de ça, il y a toujours un peu moins de bébittes. Je me dis, les tis cafés bios chauffent à ça, cré.

3. Les sentiers mal entretenus

Je dis pas pour moi, parce que j’adore les défis. Un chemin semé d’embûches, après tout, ne mène-t-il pas à un meilleur pieux ? Mais des fois, pour vrai, on se dit, cré, je vais où ? Des arbres centenaires tombés drette dans le chemin, des sentiers inondés, des yards de tourbes noires pis de marécages… Ça prend beaucoup d’instinct de coureur des bois, je pense. Si tu penses que je pleure pour rien, vas-y.

Moi je dis, ça fait partie de l’aventure, mais je peux comprendre que cela puisse faire suer des randonneurs moins chevronnés. Il faut comprendre quand même, la grande traversée de Charlevoix est un organisme privée, et il n’y a que deux bénévoles qui s’occupent de tout le réseau. Du coup… (qu’on nous donne 50$ pis une tronçonneuse, proposez-le… qui sait ?)

2. Le prix de la navette

150$ pour vous ramener le char de Saint-Urbain au point d’arrivée. Non. 150$. Nous, on a trouvé des potes de Cap-à-l’Aigle qui sont venus nous prendre à La Malbaie. Du point d’arrivée jusqu’à La Malbaie, en taxi, c’est environ 30$. C’est possible de faire ça en bus aussi, pis de s’arranger avec la Traversée. Checkez ça.

1. L’emplacement des refuges

Quelques refuges sont placés à des endroits vraiment nowhere. Il y en a bien deux ou trois qui nous offrent des vue à couper le souffle, je pense surtout à celui du Geai-Bleu, situé au haut d’un coude de la rivière Malbaie. Sinon, on est juste nulle part, dans la brousse avec les insectes préhistoriques.

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Cela dit, chers randonneurs, malgré ces menus détails, il me semble que l’expérience en vaut largement la semelle, surtout si vous êtes un amateur de plein air averti. Si vous aimez suer, saigner et avoir l’impression de devoir aller chercher tout ce que vous avez à l’intérieur de vous pour réussir un défi, ce sera votre truc. Et vous en reviendrez pas peu fiers !

Je dirais que ce parcours se situe entre intermédiaire et avancé, ce n’est définitivement pas pour les débutants. À titre comparatif, la traversée du parc national de la Gaspésie (intermédiaire) (100 km, du mont Logan au mont Albert) fut plus facile en considérant les moustiques moins nombreux, les sentiers mieux balisés et la répartition plus équilibrée des journées de marche. Mais les refuges de la SEPAQ sont moins équipés et forcent un portage plus exigent.

***

Quelques conseils pratiques

Ce que j’avais dans mon sac (60L+10), 21 kilos au jour du départ. Ce n’est pas particulièrement un exemple à suivre, car c’était très lourd, mais je n’ai pas eu à débourser 100$ de bouffe sèche au MEC ou à la Cordée au moins.

  • sac de couchage compressé au max
  • lampe frontale avec nouvelles batteries
  • deux canifs (un seul aurait suffit)
  • 20 pieds de corde (ça m’a été inutile)
  • filet de tête anti-insecte (aussi bon pour filtrer l’eau)
  • savon citronnelle multi-usage
  • trois pairs de crisse de bon bas
  • un pantalon long (les short sont à proscrire)
  • un chandail de randonnée à manches longues
  • deux chemises de soirée
  • un paquet d’Aquatabs
  • beaucoup de sac de plastiques
  • du riz, du gruau pour 7 jours
  • des anchois séchés
  • du chocolat noir
  • beaucoup de noix
  • un citron
  • trois pommes
  • deux cannes de thon
  • un chou (et oui, c’est lourd, mais ça ne pourrit pas pis c’est plein de vitamines!)
  • trois oignons
  • deux carottes
  • deux patates
  • des ramyons coréens
  • des algues séchées
  • deux saucissons
  • un fromage dur
  • des barres tendres
  • des barres de fruits
  • des raisons secs
  • Les entretiens de Confucius
  • Un carnet pour écrire
  • une bouilloire, un set de casseroles, une bâche (qui se sont avérés inutiles)
  • deux serviettes
  • une gourde 1L
  • une montre
  • des lunettes de soleil
  • un bandeau (hyper important pour lutter contre la sueur)
  • un rouleau de pcul
  • des bouchons pour les oreilles (très pratiques s’il y a des collègues qui ronflent)
  • du docktape
  • une mini trousse de survie
  • un harmonica
  • une tite bouteille de Whisky (pour lutter contre la douleur…)

Sur le chemin, j’ai rempli deux sac ziploc de thé du Labrador, ramassé des dents pis des vertèbres d’orignaux. Le crâne, j’ai pas pu, c’était en début de trek, pis j’étais trop chargé comme un âne pour trimballer la poire d’une charogne.

La pire erreur, dans pareil trek, c’est de voyager trop lourd. Ça ne pardonne pas, vous serez pris avec votre calvaire. N’apportez que le nécessaire, laissez vos fringues chez vous ou dans la voiture. Vous pourrez laver vos apparats de randonnée dans les points d’eau à la main, les faire sécher, ils seront comme neufs le lendemain. Pas besoin de tapis de sol, les matelas sont une gracieuseté de RBC. Mais une fois revenus chez vous, mettez tout en quarantaine sur le balcon avant de laver ça intense. Juste de même. #lyme #tique

***

Bon maintenant la stratégie des médias sociaux voudrait que j’étire la sauce le plus possible, que je publie 5-6 petits post en ligne au lieu d’un seul, question d’aller quêter un max de clic, mais je m’en fouts. Vous le savez. Alors je vais continuer un peu.

Un poème ci-bas obsolescent que j’ai écrit dans les refuges. D’autres suivront, si vous suivez encore. Si j’avais pu écrire en marchant, je l’aurais fait, et je crois bien que cela aurait été meilleur, mais je devais protéger mes mains.

Charlevoix, été 2017

la terre me tire vers elle
j’avance en labourant le lichen

le sentier tire mes épaules
par en avant le vent
la perdrix piétine
n’a pas peur
du légionnaire
sans arme
qui ne tire plus

échouer sur les matelas
mon grabat de misère
je sue mes toxines
toutes les humeurs
de la Ville

les bestioles ont laissé
leur dard leurs crachats
dans mes plaies
en souvenir

 

 

 

 


Regarde où tu marches – 1 – (des têtes dépassent du sol)

 

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Il faut parfois s’enfuir de son quotidien pour réaliser à quel point il est précieux. C’est un topos de l’exil maintes fois remâché depuis les années 80 que j’avance là. Un cliché. Mais, cré, c’est une de ces vérités empiriques qu’il m’est tout de même gré de partager, sans prétention aucune.

Quand il ne reste plus rien du rire fou des bernaches, quand les nuages prennent des formes menaçantes et que la pluie ouvre large une plaie purulente, oublie-t-on le soleil qui se lève d’aplomb, le ciel qui nous borde les hanches et les arbres assoiffés d’aurore ?

Tu vois une terre hostile qui n’en finit plus, pour moi c’est l’aventure humaine qui s’écrit; tu entends pleurer les enfants dans leur frayeur, j’aimerais dire que ce sont les hurlements du besoin de survivre; tu sens la fin qui approche, mais j’ai l’impression que tout recommence.

LE COEUR DANS LES PIEDS, MES ROTULES DANS LA TÊTE

Il y a déjà plusieurs mois que je me fais tout menu. Je veux dire, j’évite les tribunes, je ne donne que très rarement mon opinion; il m’arrive encore d’échapper une colère ici et là, comme un morceau de peau morte que j’arrache et balance à la gueule de mes chimères.IMG_2978.jpg Je ne vis pas pour autant en silence. J’évite simplement le diktat contemporain de l’instantané, cette couleuvre virtuelle du vivre-ensemble tout-seul à tout moment. À force d’en avoir avalé pendant toutes les années 2000, j’ai développé une intolérance au cynisme crasse de bon ton, une intolérance prononcée au messianisme révolutionnaire d’ivrogne bien sapé.

Je n’arrive plus à digérer les excès de pessimisme que m’inflige le gros ragoût ragoûtant de mon peuple dépeuplé qui me veut endetté, petit, affable et sans moyen. Un peu comme si l’amour s’était transformé en haine, je détourne le regard, je me divertis, je ne suis plus trop l’actualité qui, elle, par contre, cherche constamment à me rattraper, comme une bête qui n’a de proie que mes peurs et faiblesses. Un peu comme si les injustices ne signifiaient plus rien, qu’il n’y avait aucune injustice dans cette histoire bâclée du Québec racontée dans des mots que je ne maîtrise plus : conciliation, oubli, désespoir, raison, calcul, soumission. Un peu comme si je devais me compter chanceux de ne pas être une mouche à merde dans cette vie terrestre pleine de solitudes stellaires.

J’AURAIS VOULU ÊTRE UN NOMADE

Je suis donc parti cet été pendant une semaine traverser à pied le parc de la Gaspésie, question de me prouver,

IMG_2983.jpgd’abord, que j’en avais les couilles, mais, aussi, que mon pays valait la peine d’être parcouru. Est-ce que le Québec est libre ? Non. Mais nous, nous le sommes, nous le serons toujours. Tant et aussi longtemps que nous aurons des mains pour nous entraider.

Dormir ravagé par la fatigue dans sa tente, sous le murmure de l’averse incessante, d’abri en abri. Traverser les bois, avec les animaux aussi sauvages que les framboisiers, les tiques, les maringouins, les pécans, les rats, les cauchemars de la ville qui s’agrippe aux mollets.

Et ne pas être foutu de faire un feu ! Toi, mon amadou de tous les temps, mon nid d’oiseau, mon papier de bouleau, ma sève d’épinette, mon crottin séché d’orignal, comment ne pas t’allumer ? Comment ne pas crisser le feu au pays tout entier ?

MARCHER SA VIE

Le Ciel hier est tombé
le sol transpire encoreIMG_2994.jpg
et les pierres suintent l’or
la tourbe à pleine gorgée la vie
le sentier c’est un ruisseau d’orage
un filet d’eau sur mes chevilles

Marche sans t’enfarger
dans les racines piétinées

***

Je ramasse du bois pour la truie
les nuits humides les vampires
au bout de soi-même
les plaies ne guérissent plusIMG_2999.jpg
les rêveries sont froides près du lac
face au mont Jacques-Ferron
mon rhum Chic-Choc me panse la gueule

et je cherche quelque chose

je suis toujours en train de chercher
les petits objets m’échappent
tout comme les grands concepts
il ne me reste que des fantômes
des idées qui meurent

un castor sort sa tête du lac
face au mont Jacques-Ferron
mon thé du Labrador
n’est pas assez fort

*

THÉ DU LABRADOR (un croquis)

Capture d'écran 2016-08-17 17.17.08.png

Je me lève dans une journée de marde
la pluie écrase le pic de l’Aube
mais quand je pense à ta peau d’ambre
ça me permet de tenir le coupIMG_3025.jpg

les sommets s’ouvrent le coeur
mais c’est moi qui saigne
de te savoir à l’autre bout

je marche ma vie ordinaire
tout ce que j’ai de spécial
je le donne à marcher

 

 

LE MOULIN DES POÈTES

IMG_3128.jpgEt les jours se suivent
à perdre mon crayon
si souvent lire le ciel
prévoir la virée du vent
chercher à se libérer du poids
à se départir du monde

j’ai construit de mes mains un pont
qu’il faudra toujours reconstruire

car le ruisseau est une force tranquille
un sabre tranchant les montagnes

NOUS NE SOMMES PAS SEULS

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Au sommet des possibles
sur la hanche des neiges éternelles
le Québec n’est pas une illusion d’optique
c’est un arbre dans la forêt vierge
des milliers de Lacs si tranquilles
où sont retenus des poissons préhistoriques
avec eux leurs raisons d’être

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Et quand la bête te fixe dans les yeux
ne détourne pas le regardIMG_3067.jpg
accepte la frayeur comme une offrande
un bouquet d’achillée millefeuille
pour une journée sans lendemain

Il n’y aura que du respect entre vous
sans aucune commune mesure
tu reprends ta place dans le cahier
et tu acceptes l’incertitude
de ton confort

le sentier avalisé s’étend
de mont en mont de vallée en vallée
entends-tu l’appel des mots
le cri des élans
dans le rien

 

 

IMG_3057.jpgCe sont des nuages qui traversent
sans se soucier le pays
je me demande ma place
il faut marcher se battre pour le dire

des horizons s’effacent devant
derrière les fougères achèvent
d’effacer toute trace mes pas
bien vaut regarder où marcher
mais faut-il encore lever les yeux
pour étreindre l’infini du parcours

je n’attrape aucune libellule
et les faucons se font rares
j’aimerais allumer un feu
raconter ton histoire

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Le Québec n’est pas une province
c’est une galaxie une dimension ouverte
un lieu qu’il nous faut investirIMG_3119.jpg
non pas avec nos seaux de bitume
nos gros souliers cloués

Le Québec est un sentier d’histoires
qu’il nous suffit de partager
comme la corneille se réveille
le Québécois boîte en marchant
mais il avance
jusqu’au Lac
il marche le pas peu sûr
mais il marche sûrement

AU PROCHAIN CARREFOUR

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Nous nous retrouverons
sans même que nous ayons
pris le temps de nous chercher

Nous serons libres de nous prendre
comme bon nous semble

Nous aurons peut-être perdu du temps
mais dans les bois les secondes
sont des arbres ardents

***

Danny Plourde
2016

 

 


Shanghaï, les cireurs de bottes et « Vive le Québec libre »

J’écris ces souvenirs dans la solitude de mon appartement du Plateau Mont-Royal. J’en suis déjà à quelques mois après mon retour de Chine. Seulement, je n’ai pas encore tout dit, tout montré, je le ferai jamais. Je n’ai pas encore terminé « Les tribulations d’un Chinois en Chine » de Jules Verne non plus, mais j’en ai lu assez long pour donner raison à Verne, cette ville en impose. Elle intrigue et offre une sacrée dose de contrastes à quiconque la visite une dizaine de jours. J’en suis revenu changé, pour sûr. Je me sens minuscule et précieux.

Le métro de Shanghaï est énorme. J’ai vu les métros de Paris, New-York, Tokyo, Séoul…; celui de Shanghaï est grave énorme. Il ressemble beaucoup à ceux de Tokyo et Séoul : moderne, propre, bourré de monde. La seule distinction, c’est qu’il n’y a pas IMG_2182beaucoup de jeunes femmes pimpantes comme en Corée et moins de vieillards comme au Japon. Étonnant. Je me suis posé la question; peut-être prends-je le métro à des moments du jour où les filles travaillent ? ou restent-elles à la maison ? Que sais-je ? Peut-être y a-t-il tout simplement moins de jeunes femmes ici-bas. Elles vont étudier à l’étranger ? Est-ce à cause de la politique de l’enfant unique qui aurait selon la légende urbaine avantagée les garçons ? Va savoir… un adon ?

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Dû à son passé colonial, Shanghaï porte encore les stigmates architecturales de l’influence occidentale britannique et française, notamment. Ce qui ne la met pas pour autant moins en valeur, au contraire. L’oeil en prend plein la vue et les photos sont inutiles pour rendre pleinement compte de l’extraordinaire décor urbain, tant tout est si compact et méticuleusement investi.

  1. Dans le quartier de l’ancienne concession française, on boit (au café des stagiaires), on mange, on parle en français. Certains détesteront, d’autres seront bien contents de se retrouver un brin en compagnie de bons vivants qui partagent la même grammaire. Rencontrer des chinois francophiles est toujours agréable, surtout lorsqu’on est sinophile soi-même ! Vivre en Chine (un séjour), c’est assez déstabilisant. Tous les petits besoins du quotidien sont compromis lorsqu’on est incapables de tenir la conversation en mandarin. L’anglais est inutile. Le langage du corps reste le plus fiable. Alors avoir la chance d’échanger dans la langue de Zola, c’est assez enivrant. Je plains les professeurs d’anglais (mais, au contraire qu’en Corée, ce ne sont pas les principaux étrangers) qui arrivent ici sans aucune notion de mandarin. Ils sont niqués. Juste niqués. Ils restent entre eux, traversent la ville en taxi, avec Uber, se perdent dès qu’ils s’aventurent plus de trois rues plus loin de leur dortoir. John et moi, nous marchons, nous marchons pour nous égarer et nous avons une pensée toute particulière pour notre ancien maître de la déambulation, je pense à André Carpentier (qui nous a enseigné la déambulation littéraire à l’UQAM il y a de ça plus d’une dizaine d’années déjà, putain). Ici, s’abandonner dans la ville, c’est plonger dans le néant et accepter que le néant nous recrache au plus lointain des rendez-vous dans une nouvelle dimension. Cette pratique de l’appropriation du territoire étranger est, à mon humble avis, la plus humaine qui soit, car elle nous permet de rencontrer au meilleurs des hasards le quotidien d’un peuple qui échappe, heureusement, à tous les guides touristiques.

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Les premiers jours, je m’enfonce dans les clichés, pars à la conquête de ce qui me semble être les principaux attraits touristiques, mais je m’ennuie assez vite de tout cet itinéraire sur mesure. Il y a beaucoup de monde en Chine, c’est pas une exagération, c’est  vraiment intense. On aime, on n’aime pas. Ce qu’il y a de bien, à mon avis, c’est qu’on peut se perdre dans la foule, n’être plus personne; l’on peut prendre le visage de l’anonymat, en Chine. C’est une sensation que je n’ai jamais réellement vécu en Corée, à titre d’exemple. En Corée, le peuple est tissé tellement serré qu’il est difficile de passer inaperçu. On vous met à l’écart, on se comporte avec vous comme si vous étiez un enfant de 4 ans handicapés. Nah. Ce n’est pas le cas en Chine. En Chine, surtout à Shanghaï, devrais-je préciser à la lumière de mon humble expérience, est une ville hyper cosmopolite. Au pire, on veut vous crosser, toujours. Les Chinois sont de REDOUTABLES commerçants. C’est hallucinants. Lorsqu’on vous dit un prix, proposez cinq fois moins cher si vous souhaitez vous en tirer à la moitié du prix avancé. Mais bon, outre le commerce, l’ambiance est bonne. D’abord, la Chine elle-même est enrichie d’une multitude de régions différentes. La Chine est pluriel, pour vrai.  À Shanghaï, on peut manger la saveur de toutes les régions de l’Empire du Milieu et on entend tous les accents de la République populaire.

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Parce que j’ai des bottines en cuir (que ma blonde m’a achetées chez Zara…), les cireurs de souliers m’arrachent. Ils veulent tous m’offrir leur service exceptionnel, ce qui ne manque pas de me convaincre que, le prochain coup, je déambulerai eIMG_2132n gougoune (question de ne pas donné de faux espoir). Et ces cireurs de souliers ambulants, si nombreux, font pitié à voir. Le contraste (encore) est fort, car, à chaque coin de rue, il n’est pas rare de croiser une Ferrari, une Lamborghini, une BMW… où de grassouillets hommes d’affaires brûlent un bon cigare entre deux bimbos.

Shanghaï compterait plus de 132 000 personnes possédant une fortune personnelle de 1,5 millions $ ou plus, c’est l’une des villes les plus riches de l’humanité. Or le système capitaliste qu’on veut leur imposer vient avec son lots de paradoxes crasses, car la Main Magique du Système ne semble pas trop comment s’y prendre pour redistribuer équitablement la richesse. Suffirait de chialer contre le Parti, parce qu’il n’y en a qu’un seul, mais c’est plus profond que ça, c’est dans la nature même de l’homme, c’est l’égoïsme transcendant des races, c’est l’appel de l’individualisme, c’est la fin de l’histoire.

Pudong, la perle de l’Asie

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Devant ce décor futuriste où l’on se demande avec raison s’il peut y avoir encore des poissons qui survivent dans ce fleuve dégueulasse, j’ai fait une formidable rencontre. Un vieux chinois, près de moi et John nous écoutait joualer. On parlait québécois ensemble sans se soucier de rien, comme deux oiseaux rares perdus dans la mauvaise forêt. En Asie, les Quèbs, nous sommes exotiques, tsé. Faut croire que notre parler a attiré l’attention de l’ancêtre posté à côté de nous. Il nous a d’abord dit « Bonjour », heureux de se faire interpeller en français à l’autre bout du monde, nous lui avons retourné la gentillesse aussitôt, ce après quoi il nous a dit : « Vive le Québec libre ! »IMG_2170

Euh. Quoi ? Je suis aux abords du Pudong, sur le Bond à Shanghaï en République populaire de Chine en l’an de grâce 2015 et l’on me sort cette phrase si intensément chargée d’histoire ? Je rêve, j’ai dû boire l’eau du robinet sans m’en rendre compte. Le vieux continue avec un accent à tout casser : « Che, Char-les De-Gaul-le… Montréal, vous Québécois ? » Oui, oui, mets-en, qu’on est Québécois, toi aussi, dans une certaine mesure, putain, tu nous reviens de loin, l’ami ! Comment dire, Shanghaï, une ville de plus de 14 millions d’habitants, dude, où sont les caméras cachées ? La poignée de main : de l’or.

C’est comme cette autre fois où avec ma fille je suis allé à Montréal bouffer dans un restaurant chinois de Montréal, nous avions chacun deux biscuits secs avec la bonne fortune que nous attendions de découvrir. Celui de ma fille, il n’y avait rien dedans, je veux dire : auIMG_2167cun message ! Dans le mien, ça disait : « Vous êtes politiquement indépendant ». Je vous jure, il y a quelque chose qui se passe chez les Zhong !

Le temps passe et passe, et nous on passe notre notre tour. Nous grimpons à une terrasse pour boire quelques bières. Aurélia, la Marseillaise lumineuse de Nanjing était venue nous voir par la bande, car elle devait assister à une conférence de Yasmin Khadr, auteur algérien de génie, paraît-il. Malheureusement, je ne le connaissais pas et jeIMG_2152 n’avais pas envie d’aller me foutre le cul sur une chaise pendant des heures, alors j’ai profité de ce moment pour traîner sur les rives du Pudong. J’ai écrit quelques poèmes, j’ai fumé des clopes en me disant que mon niveau d’internationalisme commençait à souffrir, je veux dire, je me sentais seul, je m’ennuyais de mes filles. Faut pas oublier que je suis passé par Beijing pour me taper un tas de conférences à Nanjing.

Je suis certain que je suis passé à côté d’un événement important. Cet auteur, Aurélia me dit, c’est un mec hyper engagé qui frappe avec ses mots comme avec ses poings et le rapport engagé de l’Algérie a sans doute des liens avec celui du Québec dans un contexte de décolonisation… On se dit à la prochaine, putain. Les moments pour écrire sont si rares, quand on les a, on saute dessus. SI je veux me décoloniser, je dois écrire, prendre la parole, dire le monde et cesser d’attendre que la poussière des météores me recouvre d’un manteau de légitimité.

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Et pendant que la nuit tombe, que se mettent en valeur les bâtiments du futur, je ne suis pas au bout de mes peines; on m’a dit qu’il y avait un quartier en pleine destruction où se trouvaient des résistants débonnaires. L’un des rares endroits de Chine où l’on trouve des graffitis originaux !

C’est là que j’irai, après avoir survécu à l’errance nocturne.

à suivre…


Nanjing encore (et pour longtemps)

Les longues journées polluées où nous cherchons un endroit de repos pour respirer des effluves naturelles, nous allons au lac, à la montagne. Nous déambulons dans les ruelles, loin des routes pleines de chars dégueulasses. IMG_1973IMG_1985IMG_1989

Je me promène entre les cimetières de l’histoire. Des fantômes de grandes femmes s’élèvent à chaque coin de rue. Je cherche seulement la paix. Les moments à soi sont si rares, ils sont si rares qu’une fois qu’on les a, on ne sait plus quoi en faire. Je pense à Mao, à Lénine, à Marx, je pense que je suis d’un peuple en deçà de la colère, un peuple tellement loin de tout besoin d’exister collectivement. Il n’y a jamais eu d’espoir. Qu’une longue et monotone soumission durable et morne. The British Empire. La Reine, le prince, son bébé, pis leurs bobos. J’ai envie de vomir. LIBÉRAL, VOMI, LIBÉRAL, VOMI… royal.

Encore aujourd’hui, qui peut oser dire avoir suffisamment de courage ? Le courage nous a été volé. Je nous souhaite un poing levé qui saura rire de ceux qui s’enrageront de l’audace.

J’aimerais parfois tout abandonner et vivre dans un pays aussi anonyme que la Chine. Je me dis qu’il y a des milliers de nouveaux Québécois qui survivent à Montréal avec la même idée en tête. Me, Myself and I. Comment leur en vouloir ? Quand ton pays d’origine ne te rend pas heureux, tu crisses ton camp. J’en suis là. Je me magasine des villes, des pays, et Nanjing en Chine, c’est dans mon top 3. Partout ailleurs c’est tellement mieux, parce que partout ailleurs c’est tellement pire.

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Et je vais comme je le peux à la rencontre de l’autre. La Chine, c’est l’humanité, tout comme tu es l’humanité, tout comme je le suis. Mais ici, l’histoire ne débute pas au Christ. L’histoire nous renvoie à des millénaires de fraternité. Je te souhaite de tenir compte de la Chine, avant que tu portes un quelconque jugement sur l’espèce humaine.

oY, la misère… c’est une chanson qu’on oublie. C’est un ami qu’on a laissé à lui-même. Nanjing est une ville qui pourrait se comparer en quelques points à Varsovie (Pologne). Ces deux grandes villes ont subi, ont résisté, souffert; elles ont survécu.

Quand les Japonais sont passés par ici, ils ont commis un génocide impensable. Personne n’en parle en Occident. À vrai dire, tout le monde s’en crisse. Le Japon est un allié économique. Le Japon est une victime nucléaire. Mais le Japon profondément raciste ne s’est jamais excusé pour les crimes de guerre qu’il a commis en Corée et en Chine (et ailleurs). Ici, au Musée du génocide, à Nanjing, je me demande à quoi sert l’histoire, surtout lorsqu’elle est insufflée par la haine et le sentiment de vengeance. L’histoire, c’est une succession d’injustices. Je n’ai rien contre les Japonais, j’aimerais qu’on passe à autre chose tout en respectant l’histoire…

Je me sens mal et j’ai besoin d’air. Jamais la Liberté ne devrait endurer pareille horreur explicite pour se faire valoir : corps morts, squelettes, femmes violées dénudées exposées détériorées…

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Ce qui n’est pas raconté au sujet des communistes chinois, c’est que ce sont eux, autant en Corée qu’au Viet-Nam qui se sont battus contre les impérialistes occidentaux, les dictatures fascistes nazies et japonaises. Ce sont eux qui ont instinctivement refusé l’aliénation et l’idéologie américaine.

Tirons toutes les conclusions que nous voulons sIMG_2046uite à l’état actuel de ces sociétés, mais nous ne pourrons jamais leur enlever cette authenticité courageuse qui a fait d’eux des exemples de disciplines et de fraternité. Tous les régimes, tant à l’Ouest qu’à l’Est ont eu tort. La haine rend aveugle. L’argent ne rend pas heureux, l’obsession du travail non plus… Il doit bien y avoir un juste milieu, un nulle part où il serait possible de baiser sans remords.

Je prends le prochain train pour Shanghai. Je vais rouler à 305 km/h. Dans le train, je vais essayer d’apprendre quelques expressions chinoises. Je vais essayer de me rendre légitime. Je vais leur prouver que je pense à eux, et avec respect. Je suis pas là comme un gros crisse d’épais égocentrique qui voudrait imposer sa culture. Ma culture à côté de celle de la Chine, c’est rien. Je suis là avec tout ce que j’ai d’humilité. Dans le train, je bois de la bière à 3,1% et je pratique le mandarin. Une chose est sûre, celui qui se respecte, respecte ceux qui l’accueillent.

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III – Retrouver Nanjing (premiers jours)

En 2012, lorsque j’ai quitté Nanjing, je m’étais promis d’y retourner. Je me suis fait la même promesse cette fois-ci. Cette ville, à chaque fois que j’y irai, aura toujours un tas de trucs à me faire découvrir. La cité du Sud ( Nan=sud, Jing=cité), capitale historique de l’Empire du Milieu, en a bavé ce dernier siècle. Révolutions, guerres civiles, invasion japonaise… Nanjing ne l’a pas eu facile. Je ne vous ferai pas un cours d’histoire sur cette ville, ce serait pour sûr trop rasant. Je vous laisse simplement vous imaginer une seconde la teneur historique d’un endroit qui en a vécu autant. Moi qui suis Nord-Américain, Canadien(sic), Québécois, francophone, me promener sans but précis dans les rues de Nanjing, c’est un peu comme marcher sur une autre planète. Et c’est excellent pour la santé mentale.

Cela dit, comme en 2012, Nanjing m’accueille les bras ouverts avec la plus honorable et la plus incroyable des bienvenues. L’Alliance française là-bas fait un boulot formidable pour promouvoir la francophonie. Les membres de l’AF nous ont accueillis avec professionnalisme, ont trouvé d’excellents sponsors et nous ont permis d’expérimenter un de ces échanges culturels les plus intenses qu’il m’ait été donné de vivre.

Dès la première soirée, après un banquet impérial, nous sommes allés IMG_1857dans un bar (le Home Town) dont le proprio est l’ami d’une directrice de théâtre connue pour avoir fait de la radio pis de la télé en Chine. Là-bas, quelques bières et hop ! je sors l’harmonica, vais rejoindre les mecs qui grattent leurs guitares et c’est la belle bourre pendant plus d’une heure à picoler sur des rythmes asianorock garage.

Petit jam à Nanjing (cliquez le lien)

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Les lendemains s’enfilent, j’écris comme je le peux, avec le peu d’espace et de temps dont je dispose. Le climat est d’abord bon, mais cela se gâte, et ça devient foutrement pollué; je passe quelques jours dans un brouillard gris à l’odeur de magnésium brûlé. Il y a des voitures partout. Je porte mon masque à chaque coin de rue. Je me rends compte que l’air de Montréal au mois de juillet est un oasis d’oxygène comparé à ce que je respire ici. Ça m’attriste, ça me frustre.

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Et puis les vents se lèvent. Le ciel n’est pas tout à fait bleu, mais ça va mieux. On se dit, si mon grand-père a fumé la pipe pendant quatre-vingts ans, je peux bien me prendre un peu de gaz de chmu dégueulasse sans mourir. On retrouve le sourire, accroché aux fleurs qui éclatent au bout des branches.

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Je suis logé à Nanjing comme un chef d’État. Je suis, c’est le moins qu’on puisse dire, dans la position de l’ambassadeur des lettres du Québec. Et je réalise qu’il faut absolument pas que je déçoive personne. Je prends le temps d’expliquer d’où je viens, d’où je suis, où je vais. Être là, c’est exister, c’est prouver que nous sommes réels, qu’il y a des humains à l’autre bout de la planète qui pensent à nous, qui veulent en savoir plus, nous donner le bénéfice du doute. La dynamique interculturelle est d’une richesse inestimable. Mais ce que Jo et moi apprécions le plus, au-delà de toutes ces rencontres littéraires, c’est de nous perdre dans les rues et d’aller à la rencontre fortuite d’inconnus.

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Ci-haut lors d’une autre taf au Home Town, le serveur nous fait une démonstration en privée de breakdancing… Aurélia, ma pote française se la donne à coeur joie. Nous rions, le temps file et les bières descendent. Si seulement je pouvais écrire. Je ris et je réfléchis à tout ce qui m’arrive. J’ai l’impression d’avoir échappé à la loi de la gravité terrestre.

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Quand il ne fait pas gris et que le temps me le permet, j’aime sortir au café du coin pour écrire un peu ce qui devrait être l’ébauche d’un recueil à venir… J’y bois des cafés plus ou moins chauds et devant moi passe un monde que je peine à pénétrer.

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