Regarde où tu marches – 1 – (des têtes dépassent du sol)
Publié : août 17, 2016 Classé dans : ACTUALITÉS, Des Mots pis des Clichés (écrits de voyages), POËMES | Tags: Chic-Choc, danny plourde, gaspésie, Mont-Albert, poésie, Québec 1 commentaire
Il faut parfois s’enfuir de son quotidien pour réaliser à quel point il est précieux. C’est un topos de l’exil maintes fois remâché depuis les années 80 que j’avance là. Un cliché. Mais, cré, c’est une de ces vérités empiriques qu’il m’est tout de même gré de partager, sans prétention aucune.
Quand il ne reste plus rien du rire fou des bernaches, quand les nuages prennent des formes menaçantes et que la pluie ouvre large une plaie purulente, oublie-t-on le soleil qui se lève d’aplomb, le ciel qui nous borde les hanches et les arbres assoiffés d’aurore ?
Tu vois une terre hostile qui n’en finit plus, pour moi c’est l’aventure humaine qui s’écrit; tu entends pleurer les enfants dans leur frayeur, j’aimerais dire que ce sont les hurlements du besoin de survivre; tu sens la fin qui approche, mais j’ai l’impression que tout recommence.
LE COEUR DANS LES PIEDS, MES ROTULES DANS LA TÊTE
Il y a déjà plusieurs mois que je me fais tout menu. Je veux dire, j’évite les tribunes, je ne donne que très rarement mon opinion; il m’arrive encore d’échapper une colère ici et là, comme un morceau de peau morte que j’arrache et balance à la gueule de mes chimères. Je ne vis pas pour autant en silence. J’évite simplement le diktat contemporain de l’instantané, cette couleuvre virtuelle du vivre-ensemble tout-seul à tout moment. À force d’en avoir avalé pendant toutes les années 2000, j’ai développé une intolérance au cynisme crasse de bon ton, une intolérance prononcée au messianisme révolutionnaire d’ivrogne bien sapé.
Je n’arrive plus à digérer les excès de pessimisme que m’inflige le gros ragoût ragoûtant de mon peuple dépeuplé qui me veut endetté, petit, affable et sans moyen. Un peu comme si l’amour s’était transformé en haine, je détourne le regard, je me divertis, je ne suis plus trop l’actualité qui, elle, par contre, cherche constamment à me rattraper, comme une bête qui n’a de proie que mes peurs et faiblesses. Un peu comme si les injustices ne signifiaient plus rien, qu’il n’y avait aucune injustice dans cette histoire bâclée du Québec racontée dans des mots que je ne maîtrise plus : conciliation, oubli, désespoir, raison, calcul, soumission. Un peu comme si je devais me compter chanceux de ne pas être une mouche à merde dans cette vie terrestre pleine de solitudes stellaires.
J’AURAIS VOULU ÊTRE UN NOMADE
Je suis donc parti cet été pendant une semaine traverser à pied le parc de la Gaspésie, question de me prouver,
d’abord, que j’en avais les couilles, mais, aussi, que mon pays valait la peine d’être parcouru. Est-ce que le Québec est libre ? Non. Mais nous, nous le sommes, nous le serons toujours. Tant et aussi longtemps que nous aurons des mains pour nous entraider.
Dormir ravagé par la fatigue dans sa tente, sous le murmure de l’averse incessante, d’abri en abri. Traverser les bois, avec les animaux aussi sauvages que les framboisiers, les tiques, les maringouins, les pécans, les rats, les cauchemars de la ville qui s’agrippe aux mollets.
Et ne pas être foutu de faire un feu ! Toi, mon amadou de tous les temps, mon nid d’oiseau, mon papier de bouleau, ma sève d’épinette, mon crottin séché d’orignal, comment ne pas t’allumer ? Comment ne pas crisser le feu au pays tout entier ?
MARCHER SA VIE
Le Ciel hier est tombé
le sol transpire encore
et les pierres suintent l’or
la tourbe à pleine gorgée la vie
le sentier c’est un ruisseau d’orage
un filet d’eau sur mes chevilles
Marche sans t’enfarger
dans les racines piétinées
***
Je ramasse du bois pour la truie
les nuits humides les vampires
au bout de soi-même
les plaies ne guérissent plus
les rêveries sont froides près du lac
face au mont Jacques-Ferron
mon rhum Chic-Choc me panse la gueule
et je cherche quelque chose
je suis toujours en train de chercher
les petits objets m’échappent
tout comme les grands concepts
il ne me reste que des fantômes
des idées qui meurent
un castor sort sa tête du lac
face au mont Jacques-Ferron
mon thé du Labrador
n’est pas assez fort
*
THÉ DU LABRADOR (un croquis)
Je me lève dans une journée de marde
la pluie écrase le pic de l’Aube
mais quand je pense à ta peau d’ambre
ça me permet de tenir le coup
les sommets s’ouvrent le coeur
mais c’est moi qui saigne
de te savoir à l’autre bout
je marche ma vie ordinaire
tout ce que j’ai de spécial
je le donne à marcher
LE MOULIN DES POÈTES
Et les jours se suivent
à perdre mon crayon
si souvent lire le ciel
prévoir la virée du vent
chercher à se libérer du poids
à se départir du monde
j’ai construit de mes mains un pont
qu’il faudra toujours reconstruire
car le ruisseau est une force tranquille
un sabre tranchant les montagnes
NOUS NE SOMMES PAS SEULS
Au sommet des possibles
sur la hanche des neiges éternelles
le Québec n’est pas une illusion d’optique
c’est un arbre dans la forêt vierge
des milliers de Lacs si tranquilles
où sont retenus des poissons préhistoriques
avec eux leurs raisons d’être
Et quand la bête te fixe dans les yeux
ne détourne pas le regard
accepte la frayeur comme une offrande
un bouquet d’achillée millefeuille
pour une journée sans lendemain
Il n’y aura que du respect entre vous
sans aucune commune mesure
tu reprends ta place dans le cahier
et tu acceptes l’incertitude
de ton confort
le sentier avalisé s’étend
de mont en mont de vallée en vallée
entends-tu l’appel des mots
le cri des élans
dans le rien
Ce sont des nuages qui traversent
sans se soucier le pays
je me demande ma place
il faut marcher se battre pour le dire
des horizons s’effacent devant
derrière les fougères achèvent
d’effacer toute trace mes pas
bien vaut regarder où marcher
mais faut-il encore lever les yeux
pour étreindre l’infini du parcours
je n’attrape aucune libellule
et les faucons se font rares
j’aimerais allumer un feu
raconter ton histoire
Le Québec n’est pas une province
c’est une galaxie une dimension ouverte
un lieu qu’il nous faut investir
non pas avec nos seaux de bitume
nos gros souliers cloués
Le Québec est un sentier d’histoires
qu’il nous suffit de partager
comme la corneille se réveille
le Québécois boîte en marchant
mais il avance
jusqu’au Lac
il marche le pas peu sûr
mais il marche sûrement
AU PROCHAIN CARREFOUR
Nous nous retrouverons
sans même que nous ayons
pris le temps de nous chercher
Nous serons libres de nous prendre
comme bon nous semble
Nous aurons peut-être perdu du temps
mais dans les bois les secondes
sont des arbres ardents
***
Danny Plourde
2016